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CINEMANIAQ
10 janvier 2021

8MM

8mm… Ces trois caractères associés évoquent forcément un souvenir cher lecteur…

Soit celui, douloureux, d’interminables soirées rythmées par le sifflement du projecteur à visionner les vieux films de vacances sur un canapé où la moyenne d’âge est de 75 ans…

Ou le souvenir glaçant de ce film (très) noir et glauque de Joël Schumacher mettant en scène un bon Nicolas Cage – à l’époque où sa carrière en était encore une – aux prises avec une affaire de « snuff movie »…

8mm affcihe

Attardons-nous quelques instants sur la carrière de Schumacher, si tu le permets. Mais quand bien même ne le permettrais-tu pas je m’en cogne, le stylo est dans ma main ! (The pen is mine pour les admirateurs de la perfide Albion et non pas The pine is men qui se destine plutôt aux adeptes de contrepèteries franglaises…)

Joël Schumacher, décédé au mois de juin l’année dernière, fut honni par la critique française car jugé comme un cinéaste trop réactionnaire, trop vulgaire et putassier, du genre à appuyer sans trop de finesse et sans vergogne là où ça fait mal.

Je fais plutôt le pari que le temps fera son œuvre et qu’il permettra de réévaluer la qualité de la sienne à sa juste valeur. The Client (1994), A time To Kill (1996), 8MM (1999), Phone Booth (2002), Veronica Guerin (2003) ou encore The Number 23 (2007), bien que cette liste ne recèle aucun chef d’œuvre incontesté, les films cités n’en demeurent pas moins solides et estimables, intégrant parfois avec une certaine acuité une vision intéressante des maux de nos sociétés occidentales.

Les plus perspicaces d’entre vous auront noté qu’il en manque un… Evidemment ! Il manque Falling Down (1993), œuvre culte du réalisateur[i] s’il en est avec les toujours excellents Robert Duvall et Michaël Douglas. Qui n’a jamais vu ce dernier demander un whamy breakfeast à 11h02 du matin dans un fast-food anonyme de Los Angeles a définitivement raté quelque chose, cinématographiquement parlant évidemment !

Tu l’auras compris, Schumacher n’était ni Coppola, ni Scorsese ou De Palma mais laisse tout de même des films que l’on découvre ou revoit avec plaisir (plaisirs coupables diront certains, mais ça reste du plaisir) et malgré des ratages complets, il demeurera un réalisateur à la filmographie globalement attachante.

Alors, ça fait quoi de (re)découvrir 8mm, 20 ans après ?

Le film fut globalement éreinté à sa sortie en France (Schumacher est presque traité de « Taliban » dans Libé à l’époque, c’est dire !) et frappé d’une interdiction aux moins de 16 ans totalement justifiée en raison de son sujet… Mais à l’aune du déferlement d’image auquel nous sommes aujourd’hui soumis, face à la gradation incessante dans l’horreur de ce que l’on s’autorise à montrer pour provoquer un « frisson » chez le spectateur, que ressent-on à la vision ?

8mm_4

De manière assez surprenante, j’ai été plus touché par la quête vengeresse et désespérée de Nicolas Cage que je n’ai été choqué par le côté glauque et brutal du sujet, l’environnement général du film et les images qui en découlent. Assez logiquement, et cela n’engage que moi, il y a une forme d’anesthésie mentale qui opère face aux horreurs montrées à l’écran (sans excès ni voyeurisme malsain contrairement à ce qui lui fut reproché à l’époque) puisqu’il suffit de suivre l’actualité ou de regarder des vidéos en libre accès sur n’importe quelle plateforme de streaming pour être confronté à la cruauté, la bêtise, la cupidité et l’absence d’empathie de notre monde…

8mm reste tout à fait regardable pour peu que l’on ne soit pas trop sensible ou rebuté par les ambiances violentes. Le film est dense et déroule une enquête digne d’intérêt dans une ambiance particulièrement glauque et crade, sondant les « tréfonds de l’âme humaine » comme je l’ai lu quelque part à propos du film il y a plusieurs années. Ce n’est pas un pamphlet mais un thriller qui se situe à la frontière entre deux époques (juste avant l’explosion de l’utilisation d’internet) et qui surfe sur un sorte de légende contemporaine dont on a probablement un peu parlé à l’époque.

Joaquin-Phoenix-and-Nicolas-Cage-in-8MM

Bien sûr, on ne peut pas parler de raffinement (le pourrait-on d’ailleurs avec un tel sujet ?) et on flirte parfois dangereusement avec le (très) mauvais goût mais l’équilibre est là. Entre l’humanité du privé joué par Cage et la désinvolture de Max joué par Joaquin Phoenix, on côtoie une belle brochette d’ordures dont les actes font froid dans le dos mais aussi la détresse et l’infinie solitude d’une mère qui attend le retour de sa fille depuis plus de 6 ans.

Plusieurs scènes sont dures et dérangeantes mais l’esthétique du film apporte un contrepoids salutaire et aide à faire passer la pilule, grâce notamment à un joli cinémascope au couleurs saturées, sans pour autant se voir esthétisante. J’entends par là qu’il ne s’agit pas d’essayer de rendre beau ce qui est abject mais plutôt que d’en rajouter dans le cradingue avec des cadrages alambiqués et une image granuleuse aux couleurs délavées, Schumacher choisit de délivrer un produit hollywoodien classique dans sa forme. C’est un bon choix artistique de mon point de vue.

8mm-feat

Outre l’émotion qui surgit au détour de quelques scènes, le plus réussi demeure l’absence de tentative de justification des actes perpétrés par les salauds, ou tout au moins de justifications psychologiques foireuses. La morale est douteuse peut-être mais je la trouve cohérente au regard du parcours du personnage joué par Nicolas Cage.

[SPOILER - les deux paragraphes qui suivent donnent quelques infos sur la fin du film]

Avec l’argent, la cupidité et le pouvoir comme seules explications, aucune forme de justice démocratique ne lui semble pouvoir apporter de réponse satisfaisante aux actes commis et à ce qu’il vient d’endurer pour faire éclater la vérité. Sa part d’humanité l’empêche pourtant d’accéder à son désir de justice expéditive de manière immédiate. Il lui faudra s’en remettre à une autorité « supérieure » -  la douleur d’une mère et son amour pour sa fille disparue - pour vaincre ses dernières barrières d’être humain civilisé.

Est-ce suffisant et valable ? Le spectateur sera seul juge. Quant à la dernière scène, je trouve qu’elle illustre bien le prix à payer pour celui qui se sera substitué l’espace d’un instant à la justice des hommes…

 

Probablement le film le plus pessimiste de Joël Schumacher.

N.B : Introuvable en blu-ray français aujourd’hui (tout simplement pas édité il me semble), le film est disponible depuis quelques jours sur une célèbre plateforme de vidéos à la demande commençant par N… Il est donc possible de profiter d’un master HD de qualité correcte.

 



[i] Il me semble évident (et c’est peut-être même avéré) que Tarantino s’est inspiré de la scène de Falling Down où M. Douglas se réfugie dans le surplus militaire pour écrire la sienne dans Pulp Fiction (1994). Tu sais, celle où Marcellus Wallace fait connaissance avec « la Crampe »…

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