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CINEMANIAQ
21 décembre 2021

Monsieur Klein... juste un homme "ordinaire"

N’avons-nous pas tous un souvenir de cette nature ? Un conseil, une suggestion émise par une personne très proche de notre entourage et demeurée en suspension des années durant car bien qu’entendue, enregistrée, elle fut simplement négligée…

45 ans après sa sortie cinéma, et 20 années passées par cette "suggestion" dans les méandres de ma mémoire, j’ai enfin vu Mr. Klein (1976). Considéré par certains comme le plus grand rôle d’Alain Delon, le film s’inspire du vécu de plusieurs personnages réels au cours de l’hiver 1942, à Paris. Mis en scène par Joseph Losey, cinéaste américain aujourd’hui assez peu « diffusé », cité ou même évoqué hors des cercles cinéphiliques, j’ai saisi à la vision du film pourquoi ce dernier est considéré comme un des grands du 7ème art.

affiche Mr Klein

Ne connaissant que vaguement l’histoire du film, ou plutôt devrais-je dire son contexte historique, je suis tombé dessus par hasard et après une courte hésitation, je me suis lancé. On reconnaît là la force d’une œuvre majeure car, 30 secondes seulement après le début, j’été déjà happé. Et pourtant, Mr. Klein est un film lent, un film d’atmosphère où les détails, les regards, les intonations de voix en disent souvent plus que l’action qui se déroule sous nos yeux.

Et s’il est instantanément prenant, Mr. Klein le doit en très grande partie à sa mise en scène (brillante) et à la prestation d’Alain Delon (sobre et investi). La virtuosité de Losey s’exprime d’emblée. Cadrages, mouvements de caméra, décors, lumière, ambiance. Paris, Hiver 42, nous y sommes.

Marchand d’art, Robert Klein mène une vie aisée, oserais-je dire insouciante, loin des vicissitudes de la guerre et de la situation vécue par nombre de Parisiens cet hiver-là. Il découvre un matin sur son palier un journal uniquement destiné aux juifs, adressé à au nom de Robert Klein mais à une adresse qui n’est pas la sienne…

Cet évènement en apparence anodin – bien que recevoir un journal juif en 1942 à Paris était tout sauf anodin – va bouleverser sa vie rangée, l’entraînant dans une quête labyrinthique, ouvrant les yeux sur une réalité qui lui aurait échappée, à la recherche de ses origines, de son identité, ou plus simplement de lui-même.

Regarder Mr. Klein fut une expérience mystérieuse. Le film est bâti, je l’ai évoqué, sur un rythme lent en terme de déroulement de l’intrigue. Pourtant, le suspense est partout présent. On pense avoir tout compris de cette histoire dans les premières minutes et pourtant, on ne sait jamais quelle direction va prendre cette quête, Robert Klein à la poursuite de Robert Klein. Existe-t-il vraiment cet homonyme ? N’est-ce pas un fantasme, le fruit de son imaginaire ? Et ce danger latent que l’on ressent pour Mr. Klein, tapi dans l’ombre de chaque regard d’un fonctionnaire, d’une maîtresse ou d’un voisin ? Mr. Klein est-il vraiment celui qu’il prétend être ou plutôt n’est-il pas celui qu’il prétend ne pas être ? N’userait-il pas de cet artifice pour masquer le fait qu’il est juif ? Enfin, va-t-il être englouti par son propre stratagème ou est-il vraiment en recherche de la vérité ?

Subtil et étrange mélange de terreur larvée et palpable, de scènes à caractères presqu’onirique, de suspense, porté par des mouvements de caméra superbes et fluides (dont une courte séquence tournée en caméra subjective), quelques plans d’une beauté à couper le souffle, un Alain Delon habité, Mr Klein m’a donné autant à ressentir qu’à voir ou à entendre. J’ai ressenti le froid mordant et le désespoir de cet hiver 42, la chape de plomb qui s’était abattue sur notre pays, l’ambigüité des relations entre Klein et son avocat, entre lui et les femmes ainsi que l’implacable marche en avant destructrice qui engloutissait la vieille Europe en ce temps-là.

Cette dureté s’exprime de façon différente selon les environnements décrits. Les rues de Paris, les immeubles, l’appartement de « l’autre Klein », les locaux de la préfecture sont gris, lugubres, froids, inquiétants, tandis que l’appartement de Robert Klein, de son avocat, le château où il est « invité » dévoilent un environnement plus cossu, bourgeois, confortable mais non dénué d’un mystère ou d’un danger latent. Robert Klein ne semble être en sécurité nulle part. Et à mesure qu’avance cette course « effrénée » à la recherche de ce double qui se dérobe toujours plus dès qu’on croit le toucher, on glisse dans un univers Kafkaïen, le sentiment d’oppression et de danger se faisant encore plus pressant. Paris s’apparente alors à un labyrinthe gigantesque, les forces de l’’ordre comme les amis semblent toujours plus menaçants et Robert Klein lui-même semble prendre une part active, par ses actes, à cette chute inexorable.

Mr. Klein ne serait-il pas finalement un conte philosophique ancré dans le réel ?

N’y avait-t-il pas un prix à payer pour vivre dans l’insouciance, l’opulence et le cynisme alors que débutait la plus gigantesque entreprise de destruction de l’Homme par l’Homme jamais imaginée ?

Alors qu’il semble prendre conscience de la réalité du sort des juifs, de la naissance d’une résistance active et organisée et donc du décalage entre sa vie « futile » et le réel, la quête de Robert Klein n’a rien d’altruiste ou d’humaniste ? Il cherche à comprendre pour lui-même, par curiosité, et peut-être même par pur égoïsme. Tout cela n’est que suggéré, effleuré car Losey semble refuser tout côté démonstratif, explicatif ou didactique (à une exception près). On ne peut pas « subir » le film, être spectateur passif. Il faut s’impliquer pour essayer de comprendre, ce qui est réel, ce qui ne l’est peut-être pas, les motivations de chacun…

Pourquoi Robert Klein poursuit-il cet homonyme de manière acharnée, pourquoi va-t-il lui-même voir les autorités alors que personne ne lui demande rien. Pourquoi semble-t-il vouloir se mettre lui-même dans le pétrin ?

Car si la vie ne lui crée pas d’ennuis ou de problèmes, n’est-il pas à même de créer les conditions de leur apparition, même inconsciemment, ne serait-ce que pour donner un sens à sa vie ?

J’ai continué à penser au film plusieurs jours après sa vision. Son atmosphère et son mystère m’ont durablement imprégné et rares sont les longs-métrages qui m’ont fait me poser autant de question.

Mr. Klein fait partie de ces films dont la vision ne peut pas être qualifiée de moment agréable, quoique la définition d’un « moment agréable » soit tout à fait subjective, mais de laquelle il me fut impossible de me détacher une fois le film commencé. Sans être certain, je le dis en toute humilité, d’avoir tout compris, mesuré, pesé, j’ai été pourtant fasciné du début à la fin. Et quelle fin !

Au-delà d’une quelconque portée philosophique, le film est tout simplement un fantastique moment de cinéma, l’association des talents d’un grand metteur en scène et d’un immense acteur. L’un fut récompensé à la cérémonie des Césars en 1977, l’autre pas. C’est pourtant bien grâce à eux que le film existe et qu’il est ce qu’il est aujourd’hui. Un grand film.

Cinémaniaq 

P.S : Je voudrais te dédier ces quelques lignes, toi qui m’avait conseillé de regarder Mr. Klein il y a plus de 20 ans. Aujourd’hui, tu ne pourras pas les lire et je ne pourrai pas échanger avec toi sur ton ressenti. Mais j’ai compris, je pense, pourquoi tu souhaitais que je le voie et pourquoi tu semblais l’avoir tant aimé. Toi seule sais combien de routes ai-je prises à l’envers, à contre-courant. Mais l’on passe par où l’on doit passer. Et on arrive là où l’on doit arriver. Merci…

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