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CINEMANIAQ
11 octobre 2022

The Insider: un sacré coup de tabac !

Chers lecteurs,

Il m’aura fallu en regarder des films ces derniers mois pour retrouver cette excitation positive qui mène à l’envie d’en faire une critique et de la partager avec vous.

Ainsi lors d’une belle soirée d’automne, par la magie combinée du cinéma et de la caméra de Michaël Mann, malgré la grisaille sur les visages et dans les cœurs, les vicissitudes du monde extérieur, l’angoissante ritournelle des drames à nos portes, je pus jouir de quelques heures d’évasion, sentiment apaisant, émotion presque forte.

Cinéaste estimé et respecté, M. Mann jouit d’une carrière assez exemplaire, ponctuée de nombreux succès critiques et publics. Il est considéré - à juste titre - comme l’un des grands metteurs en scène américains encore en activité. Ne parle-t-on pas aujourd’hui de la « nuit Mannienne » en référence au fait que personne ne la filme comme lui ? Adepte du tournage au format numérique, il est d’ailleurs l’un des pionniers en la matière, Michaël Mann a fait la démonstration à de nombreuses reprises de sa maîtrise technique et formelle, de son exigence et de son talent, stylo et caméra en main.

Toutefois je considère que sa carrière est, comme souvent chez les grands réalisateurs, divisible en plusieurs périodes…ici au nombre de deux. Ne chipotons pas, deux, c’est pluriel !

Et sans surprise, ma préférence et mon admiration vont à l’une de ces deux périodes.

Entre 1981 et 2004, Mann trace sa propre voie et enrichit sa filmographie d’une incroyable série de films majeurs :Thief (1981), Manhunter (1986), The last of the Mohicans (1992), Heat (1995), Ali (2002) et Collateral (2004).

A partir de 2004, je suis plus réservé sur la qualité de ce qu’il a créé. Pour être plus exact, je suis moins en phase avec son cinéma qui me semble moins inspiré et plus commercial.

Pour la première période, Il en manque un ! Ah bon ? Il en manque un ?

Evidemment, c’est celui qu’on connaît mal et qu’on a tendance à oublier : The Insider (1999), son casting 5 étoiles, son histoire en béton et… son incroyable anonymat !

The Insider - affiche

Le film, tiré de faits réels et accessoirement d’un article publié dans Vanity Fair, déroule une passionnante enquête (et ses nombreux rebondissements) en lien avec les pratiques de l’industrie du tabac pour rendre les consommateurs « accrocs » à leur dose de nicotine.

Autant le préciser d’emblée, ce n’est pas tant le fond de l’affaire ou les considérations scientifiques qui sont mises en avant pour susciter l’intérêt du spectateur. Cela est utilisé pour ancrer l’histoire dans son environnement et lui donner ampleur et crédibilité mais, c’est là le véritable tour de force du film, les enjeux principaux se nichent dans les choix et les motivations des personnages et c’est presqu’exclusivement par ce prisme que Mann parvient à créer tension et suspense. A l’instar d’autres films-enquêtes qui l’ont suivi ou précédé, The Insider se concentre avant tout sur ses personnages principaux, leurs choix, leur complexité d’êtres humains et les rouages des environnements respectifs dans lesquels ils évoluent, jusqu’à la confrontation de ceux-ci, alors source de conflits et de batailles morales intenses, au détriment même du but de cette enquête, souvent reléguée au second plan.

the_insider3

 Mann a peut-être dérouté bon nombre de spectateurs à l’époque en faisant ce choix artistique fort, couplé à une absence totale de scènes d’action et une durée conséquente (2h35) mais à bien y regarder, il procéda de cette même approche pour Heat. Une seule scène d’action (mais quelle scène, bon sang !) une durée de 2h50, et une focalisation sur ses deux personnages (incarnés par Pacino et De Niro), leur motivation et leur environnement bien plus que sur la finalité de tel ou tel braquage montré dans le film par exemple.

Comme pour Heat, la réussite de The Insider passe par la réunion de ses deux acteurs principaux, chacun auteur d’une performance majuscule. Russel Crowe est formidable dans le rôle de Jeffrey Wygand, scientifique inapte aux relations sociales, à l’allure pataude, brillant, un peu buté et en proie à ses propres contradictions. Quant à l’immense Al Pacino, il nous offre une fois encore une grande leçon de jeu d’acteur. Quel charisme et quelle intensité dans son jeu ! Incarnant Lowell Bergman (ancien producteur de l’émission phare de CBS, 60 minutes), il est juste fantastique dans ce rôle de journaliste pugnace, intègre et flamboyant, flirtant pourtant parfois avec l’égocentrisme et la vanité. La distribution secondaire est assurée par des valeurs sûres tels Christopher Plummer (Mike Wallace, présentateur de l’émission 60 minutes), Diane Venora (qui incarnait la femme d’Al Pacino dans Heat) ou encore Philipp Baker Hall (dans le rôle du patron de CBS News) et vient impeccablement compléter un superbe casting, solide et homogène.

S’il ne dénonce rien sur le fond, sauf peut-être un système médiatico-judiciaire vérolé, régit par l’argent et les intérêts communs, le film excelle à montrer les tourments de « personnes ordinaires mis sous une pression extraordinaire » (formule utilisée dans le film), le cercle infernal dans lequel Wygand précipite sa vie et sa famille par sa maladresse et la difficulté de faire les bons choix lorsqu’on est sous influence (car Bergman influence, qu’il le veuille ou non, les choix de Wygand).

Plus encore, le film explore, au travers des relations Bergman/Wygand et Bergman/Wallace, l’étroite frontière entre objectivité journalistique, étique professionnelle et recherche de gloire personnelle. Et au fur et à mesure que se rapproche le dénouement, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les véritables motivations des uns et des autres.

Que penser du double retournement de veste de Mike Wallace au gré des évènements ? Bergman est-il réellement ce chevalier blanc, chantre du respect de la parole donnée et journaliste à la morale inébranlable ?

Sans apporter de réponses claires à ces questions secondaires, le film suscite la réflexion et interroge notre propre rapport à la confiance dans les médias, la justice, la loyauté et les raisons qui nous amènent à faire certains choix. En évitant le piège du manichéisme et en limitant ses effets de style, Mann parvient même à faire surgir une certaine émotion lors d’une des scènes finales. Difficile d’en parler sans rien dévoiler, mais d’en parler quand même… Alors je vous dirai qu’une relation (ici de nature professionnelle) aussi solide soit-elle, parvient difficilement à résister à une pression extérieure lorsque celle-ci se fait trop forte, cette pression agissant comme le révélateur des faiblesses intrinsèques, gisants sous le vernis du succès.

the_insider2

Je ne peux enfin pas parler du film sans louer les qualités de la mise en scène et de l’écriture qui parviennent à générer suspense, tension et réflexion sur une base qui aurait pu se révéler assez aride. Aucune scène d’action, beaucoup de dialogues mais une caméra qui colle à ses personnages, des mouvements fluides et un rythme trépidant rendent cette histoire passionnante, vivante et toujours limpide. Une superbe réussite !

The Insider est un grand film, injustement oublié[1] dans la filmographie de Michaël Mann, un incroyable « polar moral », tendu et virtuose. A (re)découvrir absolument !



[1] Pour preuve, s’il en fallait une, j’ai dû acheter le blu-ray en import US car le film n’a jamais été édité sur ce support en Europe !

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